Kolwezi

Ville d'une centaine de milliers d'habitants, Kolwezi devient durant une quinzaine de jours le théâtre d'une horreur sans nom en ce printemps de 1978. Les "tigres" du Katanga, anciens gendarmes de la région vont mettre les maisons à feu et à sang, massacrant indistinctement locaux et européens.

Les bérets verts à l'assaut des faubourgs de Kolwezi, ce vendredi 19 mai 1978. A noter un FAL belge à droite, prise de guerre récupérée sur place

Image provenant du forum paras

Une région mouvementée

C'est dès l'indépendance du Zaïre, anciennement Congo Belge, que la riche région minière du Katanga fait sécession. Soutenus par des intérêts européens, les séparatistes sont renforcés de mercenaires commandés notamment par les légendaires Bob Denard et Jean Schramme dans les années 60.

Tenant tête aux forces loyalistes et aux éléments de l'ONU dépêchés d'urgence pour empêcher le pays tout entier de flamber, ils finiront par être délogés après deux ans d'âpres combats et le Katanga redevient partie du Zaïre sous le nouveau nom de région du Schaba.

Les mercenaires au combat durant la révolte du Katanga

Photo du site simulation-airsoft

Suite au rattachement de la province sécessionniste du Katanga dans le giron du Zaïre, la société Union Minière du Haut Katanga, qui a été nationalisée lors de l'indépendance devient Gécamines en 1972. Les belges, évincés du contrôle de la société, reviennent en partie dans la région avec d'autres européens et notamment des français lorsque le président zaïrois Mobutu rétrocède 40% de la compagnie à ses anciens propriétaires face au manque de compétence des ingénieurs et techniciens locaux.

C'est sans compter le désir de revanche des anciens séparatistes qui fomentent un retour depuis le pays voisin de l'Angola, en proie à la guerre civile. La région du Schaba est primordiale pour eux en raison de la richesse de ses sols.

Le Major Erik Bonde en train de fumer tranquillement une cigarette après avoir été blessé par balle au torse et au bras lors d'un affrontement avec les rebelles, il faisait partie de la mission casque bleu suédoise de l'ONU au Zaïre

Image provenant du site très mal traduit de photoshistoriques

Insigne des "tigres" du katanga, anciens gendarmes katangais et jeunes recrues supplétives

Image provenant de pinterest

La chute de Kolwezi

Réfugiés en Angola depuis l'échec de la sécession du Katanga, les gendarmes katangais se réorganisent là bas en Front National de Libération du Congo, le FNLC, supervisé par des conseillers militaires du bloc soviétique.

Ils tentent une première fois de prendre le Shaba en 1977 mais sont stoppés par une brigade marocaine, appelée en renfort par Mobutu et aérotransportée par des Transall français. Les leçons tirées de cet engagement seront la fondation de la seconde offensive du shaba qui sera en première page de tous les journaux.
Ils ne s'avouent pas vaincus et le 11 mai 1978, les différents éléments katangais se mettent en route vers Kolwezi, précédés de petits groupes d'éclaireurs. Tous portent désormais sur leurs uniformes disparates l'insigne des "tigres" katangais.

Les rues de la ville en proie au chaos et à l'horreur. Je ne montrerais pas les photos des charniers et des lieux d'exactions ignobles qui ont eu lieu là-bas, vous pouvez les trouver facilement sur internet si le coeur vous en dit

Photo postée sur alamy

Kolwezi en 1978

Image du rapport de congomines

Une première tentative

Alertés par les employés de Gécamines, les gouvernements français et belges sont au courant très tôt de la prise de la ville mais décident d'attendre devant l'assurance du président Mobutu qui est persuadé de pouvoir reprendre le contrôle rapidement.

Le mardi 16 mai, une offensive coordonnée des zaïrois voit l'action combinée d'une colonne de véhicules blindés en provenance de la ville voisine de Lubumbashi et d'un largage de parachutistes. C'est un désastre et les soldats sont massacrés à peine arrivés au sol. Seul l'aérodrome proche de la ville sera repris par les unités motorisées qui subissent de lourdes pertes.

Les legionnaires se chargent à bord des DC-8 de l'Union des Transports Aériens à destination du Zaïre. Tout à droite de l'image, le Général Lacaze, commandant la 11ème Brigade Parachutiste

Image du site corsenetinfos

Pour aller plus loin, je vous propose :

Le livre "La Légion saute sur Kolwezi" de Pierre Sergent, publié en 1979.
Le film "La Légion saute sur Kolwezi" de Raoul Coutard sorti en 1980.
La chanson "Kolwezi", de Jean-Pax Méfret, reporter de guerre et écrivain, chanteur des gloires des armées françaises.

En France, le gouvernement continue de faire la sourde oreille, depuis quatre jours l'ambassadeur André Ross et les Colonels Larzul et Gras en poste à Kinshasa multiplient les appels à l'Elysée, signifiant le besoin urgent d'une intervention militaire alors même que les massacres continuent.

Enfin, en début de matinée de ce 17 mai 1978, le colonel Erulin, commandant le 2ème Régiment Etranger Parachutiste raccroche le téléphone qui vient de sonner; le 2ème REP est mis en alerte 6 heures. Les personnels en exercice ou en quartier libre sont rappelés d'urgence, les paquetages sont bouclés et les équipements sont colisés.

En quelques heures les légionnaires sont embarqués dans des DC-8 de l'UTA depuis Solenzara à destination de Kinshasa, suivis de gros porteurs qui acheminent l'armement et le matériel.

Très vite, l'opération qui doit rester secrète est ébruitée, tout d'abord par des syndicalistes français de gauche qui soutiennent les rébellions communistes en Afrique et qui communiquent les plans de vol des avions qui emportent les parachutistes. Puis le gouvernement belge, en la personne du premier ministre Leo Tindemans, va publiquement dévoiler l'opération à la télévision en annonçant le départ de 1100 parachutistes belges avec l'objectif de reprendre la ville.
L'effet de surprise est perdu et le temps presse pour les paras, d'autant plus que le chef des rebelles katangais donne l'ordre par radio d'abattre tous les prisonniers avant d'évacuer la ville, message qui sera intercepté par les services de renseignement zaïrois.

Le saut sur Kolwezi

Les combats font rage dans toute la ville. A la tombée de la nuit un premier bilan tombe, les objectifs prioritaires sont sous contrôle des paras et le Colonel Erulin décide de retarder la seconde vague de largage au lendemain matin.

L'école technique et la Gendarmerie sont repris, dans les geôles vingt-six otages sont récupérés indemnes dont des français et des belges mais aussi des italiens et des américains. Dans les caves du lycée Jean XXIII ce sont une centaine d'européens qui sont libérés. Au sud de la ville un PC rebelle tombe, de l'armement lourd est saisi mais surtout des plans et documents qui montrent que Kolwezi n'est que le début du plan des katangais qui ont pour objectifs suivant Likasi et Lubumbashi avec le gros de leurs 4000 troupes qui fuient vers l'Angola avant l'arrivée des légionnaires.
Dans la ville, tous les carrefours principaux sont aux mains des français qui saisissent des milliers d'armes légères après avoir détruit deux automitrailleuses et neutralisé plus d'une centaine de "tigres".

Menés par leur chef le Colonel Erulin, les "repman" s'élancent de six avions à 15h40 le 19 mai. Aussitôt au sol le combat s'engage. Les légionnaires aguerris au combat rapproché manoeuvrent avec rapidité et mènent des affrontements percutants.

La 1ère Compagnie du Capitaine Poule fond sur la vieille ville au Sud et son objectif principal, le lycée Jean XXIII; la 2ème du Capitaine Dubos a pour charge l'hôpital et les usines de la Gécamines côté Ouest; la 3ème du Capitaine Gausserès doit prendre la nouvelle ville et le quartier africain, séparés par la voie ferrée.

Les paras d'Erulin se préparent au saut dans leur Transall, dans les parachutes T-10 américains bricolés avec du fil de fer pour faire tenir tout le matériel

Image du forum paras

A 15h40 la première vague de 400 bérets verts s'élance sur Kolwezi

Image du site corsenetinfos

Deux légionnaires font parler la poudre de leur mitrailleuse AAN52 sur les hauteurs de la ville

Photo provenant de corsenetinfos

Des milliers d'armes sont saisies, beaucoup sont rendues inutilisables sur place et un certain nombre seront transférées au camps militaire de Canjuers pour identification et instruction

Photo provenant de paras

Les poches de résistance au sein de la ville sont réduites dans les premiers jours de combat

Photo du site paras

L'action belge

Le lendemain, 20 mai, la seconde vague de légionnaires est larguée sur Kolwezi au moment où 1100 parachutistes belges se posent sur l'aéroport voisin de la ville.

Les belges sont très clairs sur leur mission, elle est humanitaire et ils ne participeront pas aux combats. Les troupes ont ordre de ne pas engager les rebelles et au besoin de faire demi-tour en cas de rencontre.

Les paras belges en ville, ils ont ordre de refuser le combat avec les rebelles

Photo venant de alamy

Les familles d'expatriés sont évacués depuis l'aéroport par le pont aérien mis en place par les USA

Photo provenant du site corsenetinfos

Les Jeeps du 2ème REP devant l'usine Gécamines

Photo de l'ECPAD

Il ne faudra que la matinée du 13 mai pour que les "tigres" prennent la ville aux mains de la garnison zaïroise qui fuient devant la férocité des combats. Seuls quelques îlots de résistance subsistent dans certains bâtiments et à quelques kilomètres à l'Est du quartier européen où l'Etat-Major s'est réfugié.

Une aube rouge se lève sur Kolwezi le dimanche 14 avec le départ d'une partie des effectifs rebelles qui doivent prendre d'autres objectifs dans la région, accompagnée de l'ensemble des conseillers militaires cubains.
Laissés sans commandement, les 500 "tigres" qui restent en ville se livrent au pillage systématique des villas et commettent des exactions innommables, exécutant les civils dans les rues désertées.

Contre l'avis de l'Etat-Major français qui considère cela comme une défaite, les belges évacuent systématiquement tous les européens de la ville et le dimanche 21 mai la quasi-totalité des expatriés sont sortis du pays par le pont aérien mis en place par la 82ND Airborne Division américaine.

Au sol, le contact entre les paras belges et français passe mal.

La traque dans la brousse

Les français portent le combat chez l'ennemi et les jours qui suivent, traquent sans relâche les rebelles dispersés dans la brousse de la région. Des patrouilles à pieds et en Jeep sillonnent les alentours et les combats ne cessent pas.

Le nouveau fusil de précision de dotation dans l'armée française, le FR-F1, montre toutes ses capacités dans ces engagements et creuse des sillons sanglants dans les rangs des katangais qui risquent une contre-attaque le samedi 20 avec une centaine de combattants et des armes lourdes à la gare de Metal Shaba à cinq kilomètres de Kolwezi. Ils sont repoussés et anéantis par la Compagnie du Capitaine Grail renforcée par la Compagnie de Reconnaissance du Capitaine Halbert, laissant une soixantaine de rebelles sur le terrain.

Mortier de 81mm en batterie dans la brousse

Photo par le 2REP

Le FR-F1, nouveau bijou de l'armée fait ses preuves lors des patrouilles et dans les combats de rue

Photo du site paras

En deux jours et à plus de 6000km de distance, le 2ème REP réussit un coup de force en reprenant la ville, libérant au passage près de deux mille prisonniers européens et un grand nombre de locaux.

Ils payent le prix du sang, perdant cinq des leurs dans les affrontements qui infligent en retour plus de trois cent morts chez les rebelles.
Les civils payent un tribut malheureusement bien plus important, 131 expatriés y perdront la vie, tout comme 160 zaïrois et des centaines de disparus dont on ignore encore aujourd'hui le sort.

Le colonel Erulin, commandant le 2ème REP lors de la remise de la citation du Régiment à l'Ordre de l'Armée:

"Magnifique Régiment qui (...) réalise, le 19 mai 1978, une opération aéroportée de protection et de sauvetage de populations de Kolwezi dans des conditions difficiles. Opérant à six mille kilomètres de sa base, sous l'énergique impulsion de son chef, le Colonel Erulin, cette unité s'est assurée, en moins de quarante-huit heures, le contrôle de la région, sauvant la vie de plusieurs centaines de familles (...)

Photo du site paras

Je tiens absolument à citer six soldats français, oubliés de ce tragique évènement. En effet, présents dans la ville en tant qu'assistants militaires techniques, ils furent capturés par les rebelles à la prise de la ville et ont depuis disparus sans laisser de trace, vraisemblablement exécutés.

Sans jamais que leur disparition ne soit résolue, ces six militaires français ont étés décorés en juillet 1979 de la Légion d'Honneur pour deux d'entre eux et de la Médaille Militaire pour les quatre autres.
Ne les oublions jamais.