La tenue Ghillie

Apparue à la fin du 19eme siècle en Afrique du Sud telle qu'elle existe encore à ce jour, la tenue Ghillie puise ses origines dans des mythes antédiluviens. Véritable habit de guerre, elle est devenue indispensable aux opérations de renseignement comme de neutralisation.

Des membres d'une section de Tireurs d'Elite du 35eme RI à l'entraînement

© Armée de terre/35RI

Une genèse civile

C'est la pratique de la chasse qui dicte l'adoption de la tenue Ghillie. Mêlée de croyances surnaturelles, on peut faire remonter ses premières apparitions au Paléolithique; sa première représentation est animale et provient du Sud de la France, dans la grotte des trois frères.

Bien longtemps après, ce sont les chasseurs qui la feront naître telle qu'on la connait aujourd'hui dans le courant du 19eme Siècle, au coeur des Highlands de l'Ecosse.

Datant du Paléolithique , le "chamane dansant" est l'une des premières représentations d'un humain portant les attributs d'un animal. Objet de chasse ou bien de divination, le concept est resté de se confondre avec la nature

Image provenant du site facebook

Pendant que la guerre de 7 ans déchire l'europe, les premières unités sont crées à partir de chasseurs et de garde-chasse. Ils sont déjà rompus à la progression en terrain difficile, sont de bons tireurs et appliquent les tactiques de traque pour suivre et harceler les troupes adverses. Ils sont les premiers à porter le vert plutôt qu'une couleur criarde qui servait aux officiers à distinguer les différentes unités sur le champ de bataille.

D'une efficacité redoutable, ils sont rapidement utilisés par les anglais en Amérique du Nord puis dans le cadre de la guerre d'indépendance américaine et trouveront vite des émules chez leurs ennemis comme dans les armées du vieux continent.

Les unités levées par les locaux pour lutter dans l'insurrection contre les troupes britanniques sont immédiatement composées de chasseurs et de trappeurs expérimentés qui surprennent les troupes régulières par des tactiques de guérilla.
C'est de l'emploi de chasseurs dans les rangs des armées que va naître le "sniper", terme qui désigne en Ecosse ceux qui parviennent à abattre au fusil les "snipes", les élusives bécasses qui nécessitent une virtuosité du tir.

Un emploi intemporel

Deux soldats australiens posent avec leur prisonnier, un tireur embusqué turque lors de la bataille de Gallipoli

Image issue du site wikimedia

Mars 1941, les anglais démontrent plusieurs possibilités pour les tenues de snipers, l'artisanat est toujours prévalent

© Imperial War Museum

Freytag Jägers et leur mythique uniforme vert dans l'armée du Hanovre en 1760

Illustration de Richard Knötel vers 1890

Ces unités feront partie de l'élite tout au long des 18eme et 19eme siècles.

Mais c'est en revenant aux origines géographiques des "snipers" qu'on trouve celle de la tenue Ghillie.

Un tireur embusqué soviétique semble peu apprécier sa capture par les Finlandais pendant la campagne de Karélie en 1941. A noter son arme sur le dos du sous-officier de droite, une très étonnante Degtyarev DT-29 conçue pour être montée dans les chars russes. (Un grand merci à get_tanked pour l'identification)

Image du site russe smolbattle

Un Sharpshooter (ou tireur de précision) de l'Union, en position au cours de la guerre de sécession

Peinture de Homer Winslow en 1863

L'avènement du camouflage militaire

Un "Ghillie" écossais près de Balmoral au milieu du 19eme siècle. Chasseurs et intendants, ils sont malheureusement peu photographiés

Images provenant de pressreader

Insigne de béret des Lovat Scouts

Un exemple du travail des camoufleurs, le remplacement d'arbres réels par des copies évidées en métal pour permettre à un observateur de s'y poster

© Imperial War Museum

Etude de camouflage à la First Army School Of Snipers britannique, on peut voir à droite le canon du fusil dans le "tas de feuilles", il me semble qu'il s'agit d'un Pattern 1914 Enfield

Image provenant du livre visible sur gutenberg

Une "sniper robe" anglaise au centre, avec deux exemples de moufles et gants développés pour dissimuler les tireurs, à noter les essais de camouflages très différents et quelques fois assez surprenants

© Imperial War Museum

Un officier anglais examinant les tenues de camouflage de soldats américains vers la fin de la guerre

Image provenant de freerangeamerican

La deuxième guerre mondiale devient rapidement le terrain de jeu des tireurs d'élite. La diversité des théâtres permet une créativité totale dans la création de tenues adaptées à leur environnement et nombre de camouflages inventifs apparaissent dans les deux camps.

Certaines unités d'élite sont dotées d'accessoires de camouflage de façon organique, à l'image des unités d'infanterie de la division SS Totenkopf sur le front de l'Est. Les allemands sont souvent précurseurs concernant le matériel de dotation individuelle.

L'armée du Vietnam du Nord a trouvé un moyen peu onéreux pour camoufler rapidement ses troupes en conservant une grande mobilité, les cercles de bambous sont utilisés pour y glisser de la végétation (en médaillon un exemple sans camouflage). A noter l'utilisation d'une mitrailleuse 24/29 et d'un MAS 36 français, vraisemblablement capturés pendant la guerre d'Indochine

Image de militaryimages

Désormais largement répandue, la Ghillie est utilisée partout dans le monde, dans tous les environnements imaginables et apparait dans tous les conflits.

Largement disponible à l'achat, elle est aujourd'hui portée dans le civil par des photographes animaliers, des chasseurs, des Larpers et bien d'autres.

Un Marine américain complète le parcours Sniper du la 2eme Division des Marines au fort Lejeune

© U.S. Marine Corps/Cpl. Paul S. Martinez

Un sniper du Royal Australian Regiment aux côtés d'un US Marine pendant une campagne d'exercices dans le Queensland. A noter l'utilisation d'une capuche Ghillie provenant du commerce sur la droite

© U.S. Marine Corps/Cpl. Cedar Barnes

Issue d'un passé riche, son avenir ne l'est pas moins. Le concept restera toujours le même, dissimuler sa silhouette en brisant les contours de la forme humaine, tout en s'adaptant au plus près à l'environnement proche.

Essentiellement semblable à ses ancêtres des temps anciens, la Ghillie du futur implique d'adapter son système de pensée à des environnements nouveaux et d'impliquer les nouvelles technologies qu'elle devra elle-même combattre.
Dans les derniers mois de 1899, la couronne d'Angleterre s'engage dans un conflit dans l'actuelle Afrique du Sud, ayant pour objet d'annexer les territoires Boers indépendants d'Orange et du Transvaal, riches en or.

Lord Lovat, un aristocrate écossais, lève une unité de garde-chasses afin de contrer les tactiques de harcèlement employées par les fermiers Boers qui terrorisent les soldats britanniques. Ils ont pour particularité d'utiliser des "stalker glasses", sortes de télescopes, ainsi que de curieuses tenues qui reproduisent la végétation environnante, la Ghillie.

Les Ghillies sont tout simplement ces employés des grandes seigneureries écossaises qui ont pour habitude de se camoufler de la sorte pour traquer les braconniers et chasser. Le terme viendrait d'une vieille fable celtique du "Ghillie Dhu", sorte de personnage féérique vivant dans un arbre et drapé de feuilles et de branches.

Les Lovat Scouts vont écrire leur légende dans les montagnes australes de l'Afrique et vont la renforcer dans les boues de l'europe.

Engagés dans la première guerre mondiale, ils sont versés dans plusieurs unités et débarquent à Gallipoli et en France.

Dès le début de la guerre, les allemands fournissent à leurs troupes des fusils à lunette qui deviendront rapidement la terreur des tranchées. Devant l'enlisement des lignes de front, il devient nécessaire de soustraire les éléments stratégiques à la vue de l'adversaire.

Très tôt dans le conflit, des unités composées d'artistes peintres sont formées dans l'armée française afin de camoufler les intérêts vitaux, au front comme sur les arrières. Très vite généralisée aux autres belligérants, cette pratique est rendue nécessaire par l'apparition des avions et de la photographie aérienne.
Sous leur houlette se développe une véritable industrie du camouflage, avec des usines de confection de filets occultants.

La tenue Ghillie, encore artisanale, va bientôt faire l'objet d'une production mécanisée.

La protection par la dissimulation

Face à un usage de plus en plus répandu, la confection des matériels de camouflage devient manufacturée au fil des guerres; à l'image des camouflages peints à la main par des artistes au cours de la 1ère guerre mondiale dont la fabrication devient usinée par les italiens à partir de 1929, précurseurs en la matière.

Suivant une évolution parallèle, la tenue ghillie conserve pourtant jusqu'à aujourd'hui une part artisanale qui lui confère ses qualités mimétiques.

Tout au long de la 1ere guerre mondiale, les soldats passant par les premières écoles de "snipers" apprennent à confectionner leur tenue, souvent à partir de matériaux de récupération.

Les camouflages peints à la main sont agrémentés de morceaux de toile de jute qui reproduisent la végétation, des moufles puis des gants sont ajoutés à la tenue et des sortes de capuches entourant la tête sont taillées dans ce qui a été des sacs de sable afin de dissimuler les tireurs embusqués.

Un binôme SS de MG34 à la bataille de Kursk, portant les masques de camouflage réversibles avec imprimé printemps et automne

Photo du site warthunder. Pour une fois pas de document classifié, du moins plus aujourd'hui

Le camouflage reste un enjeu de tous les instants pour les unités spéciales comme pour les tireurs d'élite. De ce fait, les tenues individuelles de camouflage sont de tous les combats, sur tous les théâtres.

Des sables du désert, aux toundras enneigées, en passant par les jungles du Vietnam, la tenue Ghillie transcende les siècles pour se retrouver dans les magasins d'équipement de toutes les armées.

Une unité de reconnaissance de l'armée populaire de Chine s'entraîne en conditions désertiques, équipés de QBZ 95

Image provenant de mod.gov.cn (site gouvernemental chinois non sécurisé)

Un binôme de tireurs d'élite de la Garde Nationale Ukrainienne se fondent dans la neige environnante

Image provenant de ng_ukraine

Une tenue de camouflage qui reste visible en infra-rouges ou en thermique n'est désormais plus envisageable, comme le démontre cette vue d'une tenue "Phantom of War" au travers d'une optique thermique FLIR

Image provenant de intermatdefense

Une autre approche de l'anticipation, un concept de Ghillie urbaine développée par un airsofter

Image de reddit

La tenue des snipers est devenue absolument iconique, propulsée dans la culture pop par des films tels que "Shooter", sorti en 2007 avec Mark Wahlberg ou l'incontournable mission "All Ghillied up" de Call of Duty Modern Warfare.

Peu de gens connaissent pourtant son origine qui remonte si loin à travers les âges.
Compagnon des unités aux missions sensibles, accessoire de mode et pièce d'équipement reconnue de tous, la tenue Ghillie étonne par son histoire et surprendra par son avenir.

Pour aller plus loin, je vous propose une lecture en anglais qui mérite qu'on fasse l'effort (ou au moins de traduire la page dans votre navigateur), le très complet livre du Major H. Hesketh-Prichard intitulé "Sniping in France" et qui couvre en détail l'évolution des unités de snipers dans la campagne d'europe durant la 1ère guerre mondiale.

Ce livre est entièrement disponible en ligne à l'adresse suivante :
https://www.gutenberg.org/files/68964/68964-h/68964-h.htm
Ainsi que l'excellent livre de Guy Hartcup, "Camouflage, the history of concealment & deception in war"