Le bataillon oublié
Au coeur de la guerre d'Indochine qui occupe l'attention de la France, un pays s'embrase, réchauffant une guerre froide qui vient à peine de débuter. Le 25 juin 1950 les troupes communistes de Corée du Nord franchissent le 38ème parallèle et sèment la terreur dans le Sud, capturant rapidement la presque totalité du pays à bout de souffle.
Un canon sans recul de 75mm du Bataillon Français sur les hauteurs du T-Bone à l'été 1952
© Gabriel Appay/ECPAD/Défense
David contre Goliath
Sous contrôle du Japon depuis 1910, la Corée commence à voir son territoire libéré dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale par les troupes de l'armée rouge qui traversent la frontière depuis le Nord et les provinces chinoises conquises par les russes. Les 6 et 9 août 1945, les feux de l'enfer fondent sur Hiroshima et Nagasaki forçant l'empire du soleil levant à capituler le 15 août, marquant la fin d'une guerre sanglante et mondiale.
Les alliés de la veille se retrouvent au lendemain de l'armistice à couteaux tirés et débute alors une guerre dont la température n'en aura que le nom, la guerre froide. Les américains comprennent rapidement que l'URSS compte occuper le pays du matin calme dans sa totalité et décide de débarquer sous le signe de l'urgence des troupes le 8 septembre et s'entendent avec les soviétiques pour partitionner le pays en deux, avec pour ligne de démarcation le 38ème parallèle qui coupe le pays presque parfaitement en deux..
La frontière entre la Corée du Sud et la Corée du Nord en 1950. immuable, le 38ème parallèle restera la ligne de frontière malgré des débordements successifs par les deux belligérents.
Photo du site carlpepin
Les deux républiques créées suite à la partition du pays caressent déjà chacune l'idée d'envahir l'autre partie afin de réunir le territoire sous une seule nation. Le Sud, soutenu sans grand enthousiasme par les Etats-Unis qui redoutent les ambitions de son chef d'état a une armée mal équipée et peu entraînée. Le Nord reçoit quand à lui un soutien bien plus concret des autres régimes socialistes sous forme de conseillers, de chars et d'avions de combat; Pyongyang se prépare à des combats féroces.
Au matin du 25 juin 1950, les troupes communistes franchissent la démarcation et roulent littéralement sur les défenses de la République de Corée du Sud. En moins de deux mois, la capitale du Sud, Séoul est aux mains des attaquants et la presque totalité de la presqu'île est tombée. La population fuit dans des conditions apocalyptiques.
Situation en septembre 1950, les troupes sudistes à bout de souffle résistent dans la poche de Busan. Un débarquement est décidé pour soulager la pression qui s'exèrce sur eux.
Image provenant de wikipedia
La formation du Bataillon Français
A la suite des résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU des 27 juin et 7 juillet 1950, la création d'une "force de police internationale" est décidée sous commandement US, il s'agit de la première intervention des nouvellement créées Nations Unies qui ont pour but d'empêcher l'éclosion de nouveaux conflits d'envergure.
16 nations participent en envoyant des contingents de soldats afin de freiner l'avancée des nordistes qui débordent les troupes du Sud.
Retranchés sur les rives du fleuve Naktong, les soldats coréens et les troupes américaines dépêchées depuis le Japon s'accrochent à la poche de Busan, dos à la mer. La situation est désespérée.
Le 15 septembre, le Général Mac Arthur, figure de proue de la campagne du Pacifique, décide un débarquement en force sur le port de Incheon sur la rive Ouest du pays afin d'ouvrir un second front et de frapper le Nord derrière ses lignes.
Le Bataillon Français embarque sur l'Athos II dans le port de Marseille en octobre 1950. Ils portent encore un uniforme français, qu'ils vont échanger dès leur arrivée pour du matériel US
© Ecpad, François de Castries
Le Luxembourg, quoique ne possédant pas une armée comparable à d'autres participants, envoie un contingent. A noter la veste de camouflage qui me semble être un motif "Moon and Spheres" qui indiquerait un soldat belge au second rang
Image du rapport de cheminsdememoire
Le faux Lieutenant-Colonel Monclar à gauche, véritable Général quatre étoiles, l'un des officiers les plus décorés de France
Image de twitter
Pour aller plus loin, je vous propose :
Le long-métrage "Crèvecoeur" de Jacques Dupont sorti en 1955 à partir d'images filmées durant les combats en 1952. lors de sa sortie en salle, les communistes français ont saboté les séances, empêchant le public d'y entrer et détruisant les machines de projection et les bobines de film.
Le reportage de l'ECPAD "Corée, nos soldats oubliés" disponible en français avec des sous-titres en anglais sur : youtube.com
Un thread sur Twitter posté par Loïc Guermeur, historien naval et ancien militaire français, concernant l'incroyable vie du Général Raoul Magrin-Vernerey dit Ralph Monclar disponible sur son compte : CapHornier
Constitué de toutes les spécialités, le bataillon est formé autours de trois compagnies de combat et d'une compagnie blindée où se répartissent sapeurs, biffins, troupes de marines, parachutistes, cavaliers et bien d'autres. Parmi eux, des vétérans de l'Indochine, des anciens de la France Libre, des poilus de 14 et quelques survivants de la Ligue des Volontaires Français qui combattaient le bolchévisme sur le front de l'Est aux côtés des allemands.
A leur tête, un chef de guerre atypique qui troque ses quatre étoiles de Général de Corps d'Armée contre des galons de Lieutenant-Colonel pour pouvoir commander le bataillon fraîchement mis sur pieds; comme beaucoup de ses hommes, il est volontaire.
Sorti Sous-Lieutenant de Saint-Cyr en 1914, il rejoint les rangs du 60ème Régiment d'Infanterie de Besançon. Il sortira de la grande guerre avec les trois galons de Capitaine, une Légion d'Honneur, onze citations individuelles et sept blessures graves; il est considéré comme invalide à 90%.
EN 1940, il prend la tête de la 13ème Demie Brigade de la Légion Etrangère et commande la première victoire alliée de la guerre sous les neiges gelées de Narvik en Norvège. Monclar rejoint au lendemain de l'appel du 18 juin les Forces Françaises Libres en Angleterre et participe aux combats en Afrique du Nord; il refuse cependant d'affronter les français de Vichy à plusieurs reprises. Il passera sa guerre sous le soleil du Sahara et au Levant.
Soldat de métier et guerrier dans l'âme, il est de tout les combats. Général, il affronte les japonais puis les communistes en Indochine, au Tonkin et en Cochinchine. A près de 60 ans, il se porte volontaire pour diriger le détachement français de l'ONU en Corée et consent même à raccrocher ses étoiles temporairement pour reprendre son grade de Lieutenant-Colonel qu'il avait obtenu douze ans auparavant, dans le but d'obtenir ce commandement.
Le Bataillon Français en Corée
A leur arrivée sur le théâtre, les militaires français souffrent de l'image laissée par la débâcle de 1940 dans l'esprit des américains, personne ne leur fait confiance et le commandement de la 2ème Division d'Infanterie US à laquelle ils sont rattachés s'attend à les voir fuir aux premiers coups de fusils; ils sont cantonnés à quelques rares patrouilles ainsi qu'aux arrières.
Mais tout change en janvier 1951; engagés à la bataille de Wonju, les français se montrent féroces et solides; ils gagnent la confiance de leurs camarades d'outre-Atlantique en tenant coûte que coûte les positions qui leurs sont assignées.
La ville doit être reprise aux chinois et après plusieurs échecs des GIs, le Bataillon Français qui est presque à court de munition décide de changer la donne et charge l'armée de libération à la baïonnette, stoppant net l'offensive ennemie. Les "frenchies" viennent de gagner le respect et désormais les troupes US sont ravies de les avoir à leurs côtés.
Après le débarquement US du 15 septembre à Incheon, les troupes communistes cèdent rapidement du terrain et son refoulées au delà du 38ème parallèle, il semble que les français qui sont encore sur le bateau vont arriver après la bataille.
C'est sans compter sur les soutiens du régime de Pyongyang et à la fin de l'année 1950, les hordes chinoises déferlent sur le pays depuis la frontière Nord et repoussent les soldats sudistes et les américains, à nouveau la situation est critique.
Entrée du camp du Bataillon Français à Kapyong
© Gabriel Appay/ECPAD/Défense
Seule image à ma connaissance des français combattant à Wonju, malgré la qualité on peut voir les conditions très difficiles dans lesquelles nos militaires se sont distingués
Photo Gérard Journet
Une position de fortune française au sommet du piton de la côte 1037 le 5 mars 1951
Photo ECPAD, Paul Callet et Raymond Benard
A nouveau ils s'illustrent lors des combats de Putchaeteul et durant l'offensive d'Inje, surnommée "le massacre de mai".
A plusieurs reprises, les français empêchent un encerclement des forces de l'ONU et prennent les pitons les plus difficiles mais ils sont loin d'en avoir terminé. A la sortie de l'hiver, le bataillon a perdu la moitié de ses effectifs et doit être renforcé par des militaires d'active envoyés de France.
Une patrouille prise sous le feu des mortiers chinois dans le secteur de Kumwha
© Gabriel Appay/ECPAD/Défense
Un commando français à l'assaut des positions chinoises, l'ennemi ne compte pas ses pertes et multiplie les vagues de fantassins
© Gabriel Appay/ECPAD/Défense
Le poste de secours de Crèvecoeur à flanc de montagne
Photo de l'ECPAD
La France, membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU hésite à envoyer des hommes qui manquent déjà cruellement à la guerre d'Indochine qui bat son plein.
Pourtant, en septembre est formé à Auvours un bataillon destiné à appuyer l'effort des unités onusiennes qui livrent déjà des combats meurtriers sur le terrain.
Un appel à volontaires est diffusé dans les journaux pour remplir les rangs de cette unité mais certains son déviés après un volontariat pour combattre en Indochine et plus tard, de nombreux soldats d'active viendront la compléter.
Après une restructuration plus que nécessaires après les lourdes pertes subies, notamment chez les officiers et sous-officiers, le Bataillon est a nouveau engagé dans de durs combats en septembre et octobre 1951 à la bataille de Crèvecoeur.
Proche de ce qui est aujourd'hui la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées, la crète de Crèvecoeur est le théâtre de combats impitoyables. Les français doivent monter à l'assaut depuis les ravins qui descendent de la longue crète tenue par l'armée chinoise, dans un terrain très escarpé et souvent à très courte distance; seul l'appui de l'artillerie et de l'US Air Force permet de vitrifier l'ennemi qui perd au moins 10 000 hommes contre 2000 tués et blessés dans les rangs de l'ONU.
C'est alors une guerre de tranchée qui s'installe dans la durée, au long du 38ème parallèle. Les hommes buttent sur des squelettes enterrés à chaque tentative de creuser de nouvelles positions, les combats font rage pour prendre quelques mètres de terrain labouré par les obus et les bombes incendiaires; l'horreur de 14-18 revient, cauchemar surgit du passé.
Le Général Monclar, ancien de 14-18, dira à ses hommes : "Vous pourrez dire à vos anciens que vous avez vécu quelque chose qui ressemble à Verdun".